D’après Dragonfly Giants (1) Mecistogaster lucretia (Coenagrionidae) est la plus longue de toutes les libellules connues ; Jill Silsby (Dragonflies of the World, 2001) donne une taille de 150 mm pour un sujet de Loreto (Pérou). K.-D. Dijkstra a mesuré 2 mâles au Suriname, l’un atteignant 146 mm, l’autre 149 mm.
Ce zygoptère est donc plus long que le plus grand anisoptère connu, une femelle Petalura ingentissima, que j’ai eu le plaisir d’observer dans le nord du Queensland (Australie) qui ne toise que 125 mm (moitié plus long que notre Anax imperator).
Je n’ai malheureusement eu droit qu’à une brève rencontre, j’ai fait 4 ou 5 photos, toutes sous le même angle, avant que cette géante, c’est une femelle, ne se perde dans le sous-bois.
Je n’ai malheureusement pas vu de mâles qui sont encore plus spectaculaires par une déformation de leur aile postérieure, une concavité inattendue sur le bord costale juste avant le pseudo-ptérostigma. En effet, si c’est un Coenagrionidae, il appartient à la sous-famille des Pseudostigmatinae (après avoir été établi dans la famille des Pseudostigmatidae …), ce qui signifie qu’il n’a pas de vrai ptérostigma. Je rappelle que le ptérostigma est une unique cellule sclérifiée et ici, c’est une simple coloration sombre qui s’étend sur plusieurs cellules (comme pour nos Calopteryx) et deux rangées.
Mecistogaster lucretia femelle, Pérou, ARC (Chino), 17/08/2023
Mecistogaster lucretia ressemble à M. linearis avec lequel je l’ai d’abord confondu (merci à Tim Faasen). Les femelles ne présentent pas cette déformation de l’aile postérieure, mais mâles et femelles ne présentent qu’une seule bande antéhumérale, alors qu’elle est double pour leur cousin.
Ils ont la particularité de se nourrir d’araignées qu’ils picorent directement sur les toiles, se saisissant parfois des proies engluées dans le piège.
Les femelles ne pondent, aidées par leur très long abdomen, que dans les phtytotelmes, c’est-à-dire les réservoirs d’eau formés par certaines plantes, comme des Bromeliaceae, des épiphytes ou des cavités dans de vieux arbres. Les larves y trouvent de nombreuses autres larves pour se nourrir, voir des têtards de grenouille. Leur habitat est donc la forêt où on peut les observer voler lentement et faire du sur place devant les toiles d’araignées quand celles-ci sont à la lumière ; il semble en effet qu’ils privilégient pour se nourrir des endroits exposés au soleil, diminuant les risque de se faire piéger par inadvertance.
J’ai vu peu de Broméliacées durant cette prospection, mais quand elles sont nombreuses, le nombre de larves qu’on y trouve peut-être spectaculaire : dans un article de International Journal of Odonatology (2), on lit à propos de M. modesta, certainement plus commun (mais absent de cette zone) qu’en forêt secondaire au Costa Rica, dans des zones ensoleillées, on trouve une moyenne de 6470 larves à l’hectare dans les Vriesea (Broméliacées) !
C’est une espèce exclusivement sud-américaine que l’on rencontre dans les forêts pluviales qui entourent le bassin amazonien.
IUCN Red List
Le genre Mecistogaster a été créé par Rambur (1842) (3) mais il n’y explique pas le choix de ce terme. Cependant, en grec mecist -o signifie (4) –le plus long et gaster – le ventre, l’estomac et par extension l’abdomen. Il n’y a pas besoin d’être plus explicite !
Lucretia ; Drury a souvent utilisé des noms issus de l’Antiquité ou de la mythologie. Lucretia, une romaine, a joué un rôle historique de premier plan, puisque son viol (puis son suicide) par le fils du roi Tarquin le superbe, a provoqué la fuite de ce dernier et l’instauration de la république.
1- Dragonfly Giants, Keith Wilson, Agrion, volume 13 (1), 2009, p 29.
2- Jacqueline T. Ngai, Kathryn R. Kirby, Benjamin Gilbert, Brian M. Starzomski, Aimée J. D. Pelletier & J. C. Ross Conner. (2008) The impact of land-use change on larval insect communities: Testing the role of habitat elements in conservation. Écoscience 15:2, pages 160-168.
3- M. P. Rambur, Histoire Naturelle des Insectes Névroptères, 1842.
4- Dictionary of Word Roots and Combining Form, compiled from the Greek, Latin and other languages with special reference to biological terms and scientific names, Donald J. Borror, 1960.