Ce mâle Dromaeschna forcipata est le seul que nous ayons rencontré posé. Il a appartenu à la famille des Telephlebiidae, mais semble actuellement revenu chez les Aeshnidae et son genre ne comprend que 2 espèces, toutes 2 présentes au Queensland. Son cousin D. wiskei est très différent, ses derniers segments sont orange flamboyant (un peu comme Austrogomphus turneri, pour donner une idée).
Même s’il a d’abord appartenu au riche genre des Austroaeschna, on ne peut pas le confondre avec l’un d’entre eux en raison de son motif thoracique bien particulier montrant une alternance de lignes vertes et sombres.
Tillyard nous dit dans « New Australian species of the family Aeschnidae (1906) » qu’il mesure 67 mm pour un abdomen de 52.
Nous l’avons longuement observé en vol, sur une rive de la South Johnstone River, une rivière très agréable, avec de nombreuses zones d’ombres, procurées entre autres par des fougères arborescentes, bienvenues pour nous apporter de la fraîcheur.
Noter la « croix » qu’il porte sur le 2° segment abdominal, plus discrète pour les femelles.
Malheureusement, les femelles du Green-striped darner doivent également apprécier l’absence de soleil pour pondre et c’est dans cet environnement que ce mâle explorait la rive afin de capturer une partenaire.
Dromaeschna forcipata mâle, Australie (FNQ), South Johnstone campground road, 12/12/2022
Nous avons eu plus de chance avec les femelles que nous n’avons cependant pas observées en vol. Elles sont magnifiques, lumineuses dans l’ombre, la nervation délicate et les ailes discrètement ambrées…
Ils se plaisent sur les rivières, en forêt claires, ombragées sans excès. C’est au long de cette rivière que nous avons rencontré plusieurs femelles, dans le sous-bois clair.
Endémique d’Australie, sa distribution est limitée au nord-est du Queensland, une zone « côtière » entre Townsville au sud et Cooktown au nord. Si son aire de répartition est étroite, il semble localement abondant et les contacts avec l’espèce sont relativement nombreux sur les bases de données participatives.
IUCN Red List
Atlas of Living Australia
Nous avons pu observer de père, de très près, une femelle plus jeune ; ses yeux pas encore verts, ses ailes brillantes avec des ptérostigmas blanchâtres, donnent une idée de son immaturité.
On peut remarquer les ommatidies, autant d’yeux simples qui constituent l’œil composé des odonates.
À l’extrémité de l’abdomen (la photo a été pivotée), sous les segments 8 et 9, on observe la valve de l’ovipositeur munie de paires de « palpes » à son extrémité qui renseignent la femelle sur la qualité du substrat dans lequel elle dépose ses œufs ; même si elles ont des yeux performants, elles ne voient pas à 360 ° et pondent donc « à l’aveugle ».
Plus tard, sur un autre site, nous avons pu observer le travail de cet ovipositeur dans du bois mort, la femelle pondant dans une situation acrobatique, peu au-dessus de l’eau et sous une branche. Pas très commode pour le photographe…
Noter les ailes fortement ambrées.
Le genre Dromaeschna (1) a été créé en 1908 par Forster. Ainsi, la première partie du nom aurait pu provenir du grec dromos qui signifie habituellement – course (de chevaux) mais il est peu plausible que Forster ait cherché à introduire une notion comportementale dans la mesure où il travaillait sur des sujets de collection.
Selys, en 1854, a créé le genre Dromogomphus en se basant sur la longueur des « fémurs postérieurs excessivement longs » mais ce n’est pas le cas ici. La signification reste donc énigmatique.
Aeschna est un cas particulier dans l’étymologie des noms d’odonates. Il est ici écrit dans sa version corrigée, et on a, en Europe, l’habitude de l’écrire sans « c », la version de Fabricius (1775) qui a créé le nom de genre Aeshna.
On suppose, car il ne l’a pas précisé, que Fabricius a formé ce nom depuis un mot grec signifiant défigurer ou ternir (pourquoi, c’est une autre énigme ?) ; mais Fabricius est un puriste et on ne peut expliquer cette absence de « c » que par une erreur de transcription ou une erreur typographique ultérieure.
L’absence de ce « c » n’est restée la norme que pour le genre Aeshna et tous les « composés » l’ont intégré.
Forcipata du latin –forceps pour –pince ou tenaille et du suffixe atus qui signifie –doté de, et effectivement le mâle est doté d’appendices anaux spectaculaires : « Appendages : Superior 3 mm, depressed, forcipate, black ; wide apart at base » (malheureusement mes photos ne permettent pas de les illustrer).
Enfin, une dernière femelle sur cette riche rivière ; elle m’a semblé très différente en coloration, et j’ai cherché ce qui pourrait en faire une autre espèce… Et elle a effectivement 24 nervures anténodales contre 20 pour les autres matures et les triangles des ailes antérieures et postérieures comptent une cellule de plus.
Mais comme la femelle immature que je montre compte 22 anténodales, il faut accepter que ceci ne soit que le fait de la variation individuelle. Cela permet de relativiser la solidité des critères d’identification reposant sur le comptage de nervures ou des cellules…
-1- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird publishing.