Nous n’avons rencontré Archibasis melanocyana (Coenagrionidae) que sur la rivière Maludam, dans le parc national du même nom. C’est une rivière dont la hauteur varie fortement avec la marée, la mer est tout proche. Cette rivière serpente dans une impénétrable forêt de Pandanus, qui devient après plusieurs kilomètres une véritable forêt inondée au sol tourbeux. À Singapour (2), ils vivent sur des ruisseaux rapides, dans des marais, en forêt.
Les nombreux A. melanocyana que nous avons aperçus se tenaient sur les rives de cette forêt de pandanus, fréquemment posés, comme ci-dessus, sur ces palmes très coupantes ; le problème pour en faire des photos correctes est que nous étions en pirogue. C’est une situation extrêmement frustrante que de voir tant d’individus et de ne parvenir qu’à faire 2 ou 3 photos correctes…
Il côtoyait Pseudagrion coomansi mais se distingue facilement de ce genre par ses yeux dont le sommet est largement sombre, alors que ceux des Pseudagrion sont essentiellement bleus. Noter également ses petits ptérostigmas presque carrés.
Selys, dans sa description de Stenobasis melanocyna (1) nous dit d’ailleurs qu’il ressemble, par sa coloration, à Pseudagrion microcephalum (il y a cependant de nombreuses différences).
Il se rapproche plus (à mon avis) de Aciagrion hisopa, mais celui-ci n’est pas présent à Bornéo.
À Singapour (2), il atteint une longueur totale de 37 à 38 mm. Les sujets de la collection Selys (1) ont un abdomen qui atteint 31 à 35 mm et proviennent de Malacca, au sud-est de la Malaisie péninsulaire ; ils semblent donc nettement plus longs.
Tous les Archibasis paraissent porter un point noir dans le prolongement de la très faible ligne soulignant la suture interpleurale, à la façon de nos Erythromma européens, ce qu’on peut vérifier sur iNaturalist. En vérifiant ce détail, je me suis d’ailleurs aperçu que les observations de A. melanocyna rapportaient au moins autant de femelles que de mâles, ce qui est rare pour les Coenagrionidae. On trouve peu de détails sur l’Histoire naturelle de cette espèce assez peu commune, si ce n’est dans Ngiam & Ng (2) qui nous disent qu’ils perchent assez haut, à 2 ou 3 mètres ; une hypothèse pourrait être que les mâles se tiennent en effet plus volontiers dans la canopée, comme pour certains Teinobasis par exemple.
Ci-dessus, c’est un des rares semi-gros plan réalisé depuis la pirogue ; la photo est bien sombre (et recadrée), mais laisse voir correctement un diptère parasite, peut-être du genre Forcypomyia, qui se nourrit de l’hémolymphe de son hôte.
On retrouve la moitié des yeux bleus pour les femelles, les mêmes motifs thoraciques (le point noir), les petits ptérostigmas et un motif bleu bien particulier sur les derniers segments. L’idéal, pour identifier les femelles, est tout de même de les trouver en accouplement ou en tandem, ce qui est le cas plus bas.
Cette espèce, pourtant considérée comme peu commune, est largement distribuée sur Bornéo, la Péninsule Malaisienne, Singapour et Sumatra. Si le territoire semble vaste, les localisations précises où elle est connue sont assez peu nombreuses.
IUCN Red List.
Toujours depuis le bateau, une femelle en ponte dont on voit bien le stylet, sous l’ovipositeur, destiné à percer les écorces tendres des arbustes pour y déposer des œufs.
Étymologie
Archibasis : donnons la parole à Ian Endersby & Heinrich Fliedner (3) que j’ai tant cités ; « Selys en 1877 a établi 5 sous genres de Telebasis (Leptobasis, Stenobasis, Telebasis, Amphicnemis et Pericnemis). Bien qu’il ne donne pas d’explication, Kirby (1890) remplace Stenobasis par Archibasis, comme si c’était un homonyme et non un nom valide. Stenobasis était dérivé du grec στενός pour étroit et βάσις qui signifie ce sur quoi on se tient, piédestal ou base. Ceci se référant à la base pétiolée des ailes : « Ailes pétiolées jusqu’à la nervule basale postcostale ou même un peu plus loin, un peu avant l’origine du quadrilatère. »
Kirby retient la racine βάσις, précédée de ἀρχή qui signifie commencement, origine. »
Melanocyana, du grec ancien melas, melanos qui signifie noir et du κύανος pour bleu. Effectivement cet odonate est bleu et noir…
En angalis il est appelé Blue-nosed sprite et en malais Sayaptirus Peri Hidung-biru.
1- Selys-Longchamps, E. de 1877 – Synopsis des Agrionines, 5eme légion: Agrion (suite et fin). Les genres Telebasis, Argiocnemis et Hemiphlebia. Bulletin de la Classe des Sciences, Académie Royale de Belgique 43: 97-159. P. 110.
2- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
3- Ian Endersby & Heinrich Fliedner, The Naming of Australia’s Dragonflies, Busybird publishing, 2015.