
Le genre Rhodothemis ne comprend que 4 espèces : j’avais déjà rencontré Rhodothemis rufa au Cambodge, et plus tard R. lieftincki en Australie, ce sont d’ailleurs ceux qui ont la distribution géographique la plus importante, R. nigripes et R. mauritsi étant confinés à l’Indonésie, et le dernier uniquement à la Nouvelle-Guinée.

Il ressemble énormément à R. lieftincki et les deux espèces ont d’abord été confondues, alors qu’il est maintenant acquis que leur aire de distribution ne se chevauchent pas. Dans Kalkman & Orr, 2014 (1), on trouve une clé qui permet d’identifier les mâles des quatre espèces et on peut ainsi séparer ces deux Rhodothemis par le nombre d’épines portées par les fémurs postérieurs ; 20 à 27 petites épines et 2 à 3 grandes pour R. lieftincki, 8 à 12 petites et 4 à 5 grandes pour R. rufa. Ce que je me suis amusé à vérifier sur mes photos ci-dessous :

L’abdomen et le thorax sont rouges, sans marques noires. En Thaïlande et en Asie, il est possible de le confondre avec les autres Libellulidae rouges, comme Crocothemis servilia (pattes rouges, ligne noire sur l’abdomen !), Urothemis signata (marques noires sur les derniers segments !), Aethriamanta brevipennis (genoux rouges, thorax sombre !) voire Orthetrum testaceum. Mais les yeux des trois premiers sont bleus dans leurs parties postérieures et inférieures, le quatrième n’a pas les yeux rouges.

Il est aussi proche des Erythemis américains (ici Erythemis mithroides).
Ces ressemblances expliquent sans doute pourquoi il a été décrit à de nombreuses reprises sous des noms différents, comme le souligne Fraser, dans Indian Dragonflies (2) :

Fraser lui donne une longueur totale de 44 mm, ce qui est en accord avec ce que l’on lit dans Ngiam & Ng (3) qui donnent 41 à 44 mm. Mais dans Odonata of China, il atteint 49 mm ; il faut réaliser que ce n’est que 5 mm de plus, mais cela représente 12.5% de plus que la taille maximum enregistrée en Malaisie et 20% par rapport à la taille la plus faible. Cela reste tout de même compatible avec les variations de taille que l’on rencontre… pour les humains !
On le contacte sur les mares, étangs, les réservoirs, dans les parties bien végétalisées des berges, au soleil. Nous ne l’avons rencontré qu’à Chiang Mai, en particulier sur la mare devant la faculté de Technologie.

On voit très bien sur les femelles un détail de coloration qui disparaît lors du vieillissement des mâles : un curieux décor blanc « emboîté » sur la face dorsale du thorax, qui se prolonge entre les ailes jusqu’à la face dorsale de l’abdomen. On en devine encore les deux courtes bandes latérales sur les mâles, sur les deux premières photos de la page.
On retrouve exactement ce type de décor sur les jeunes mâles et les femelles R. lieftincki, en Australie.

Je trouve ce genre très intéressant pour la différence énorme entre mâles et femelles matures, et aussi pour l’intérêt esthétique des femelles qui montrent une coloration très typée, pas du tout une pâle version des mâles, comme souvent chez les Libellulidae. Mais, actuellement, on ne sait pas séparer les femelles des différentes espèces.
Sa distribution s’étend de l’Inde et du Sri Lanka au sud de la Chine, à Hong Kong et aux Philippines, pour atteindre au sud la Malaisie et l’Indonésie, en passant par le Myanmar, Vietnam, le Cambodge…
IUCN Red List.
De l’Inde à Singapour, au moins, on l’appelle Common Redbolt, Spine-legged redbolt, Rufous marsh glider ; si le « bolt » est étonnant, il signifie « boulon » en anglais, je préférerais le dernier nom vernaculaire « planeur des mares » s’il n’était pas qualifié de roux (rufous) !


Étymologie
Rhodothemis (1) est composé du grec –rhodos pour –rose et de Themis. Themis, – déesse grecque de l’ordre et de la justice, a été utilisé de nombreuses fois depuis Hagen (1861), et Ris a suivi la mode en 1909 quand il a créé ce genre. Le nom de la déesse de l’ordre est particulièrement bien adapté à la taxonomie, science qui vise à décrire et ordonner les familles, genres et espèces.
Mais, pourquoi évoquer la couleur rose pour des sujets rouges (tous les Rhodothemis sont rouges), cela reste un mystère. À moins qu’il n’ait eu en main que des sujets en cours de maturation…
Rufa, du latin rufus qui signifie roux. Rambur insiste beaucoup sur cette couleur dans sa description (4) et rufa en est même le premier mot : « tête ayant la face rousse…, thorax roux…., …. abdomen roux, …. pattes rousses. » Il est vraisemblable que Rambur ait eu en sa possession un sujet mal conservé (comme presque toujours à cette époque), sans doute pas un jeune, car s’il décrit la bande interalaire centrale qui se prolonge sur l’abdomen, il ne mentionne pas les deux taches claires grossièrement triangulaires, plus latérales sur le thorax. Il faut noter que le terme « rufa » apparaît très souvent dans les descriptions de Rambur pour ses « Libellula » ; pour beaucoup la coloration rouge a été altérée en marron ou roux.

1- Kalkman & Orr, 2014 – Distribution and identification of Rhodothemis in the eastern part of the Indo-Australian Archipelago (Odonata: Libellulidae) – Faunistic Studies in South-East Asian and Pacific Island Odonata 8 (2014): 1-9
2- Fraser, 1918 – Indian Dragonflies –The Journal of the Bombay Natural History Society. Bombay Natural History Society, 1886, p. 504.
3- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
4- Rambur, 1842 – Histoire naturelle des insectes – Névroptères, p. 71