Nous avons rencontré Argiocnemis rubescens (rubeola ?) à deux reprises, ce qui nous a permis d’en voir les différentes formes et sa spectaculaire évolution ontogénique. La différence d’aspect est en effet vraiment très étonnante, entre les sujets longilignes à l’abdomen rouge et les sujets bleus matures, qui semblent plus courts (ils sont présentés des plus jeunes aux plus âgés).
Argiocnemis rubescens mâle, Thaïlande, Hua Sai Lueang Waterfal, 04/06/2024
Do Inthanon, Mr Deang’s Shop, 03/06/2024
C’est d’ailleurs « une » espèce tellement variable qu’en fonction de la zone géographique dans laquelle on se situe, on distingue différentes sous-espèces. En réalité, il y a certainement différentes espèces. Comme je l’avais déjà fait remarquer pour Argiocnemis rubescens en Australie, les différences rencontrées entre ces sujets d’Océanie et les sujets asiatiques sont trop importantes pour accepter qu’ils fassent partie de la même espèce.
Rory Dow, que j’avais contacté à l’époque, doit publier sur ce sujet : l’espèce australienne ayant préséance conserverait le nom d’espèce rubescens tandis que les sujets de Malaisie, nommés parfois A. rubescens rubeola prendraient le nom d’Argiocnemis rubeola. Il existe cependant bien d’autres formes (1) : on aurait ainsi A. r. intermedia aux Philippines, A. r. lunulata aux Philippines, à Java et au Sulawesi, A. r. nigricans en Nouvelle-Guinée, A. r. obscura en Assam. A. r. rubeola serait présent en Indochine, Luzon, Sulawesi et Sumatra. On doit donc se préparer à un certain nombre de nouvelles espèces !
Ainsi, ceux de Thaïlande sont censés appartenir à la ssp. rubeola. Cependant, si les femelles montrent aussi une étonnante évolution, elles présentent un détail qui fait aussi douter de leur appartenance à ce groupe : certaines exhibent en effet un curieux trait coloré sous le 7° segment, que l’on ne retrouve pas en Malaisie par exemple.
3-4 Hua Sai Lueang Waterfal, 04/06/2024
En ce qui concerne son habitat, nous l’avons rencontré autour d’une petite prairie, marécageuse par endroits, bordée par une vraie rivière d’un côté et de l’autre un fossé profond. Il se trouvait en compagnie du splendide Ceriagrion azureum et d’un fabuleux Sarasaechna pramoti (ou nisatoi ?). C’est un hôte des eaux faiblement courantes ou stagnantes.
En anglais, et en Australie au moins, on l’appelle Red-tipped shadefly, ce qui n’a du sens que pour les mâles immatures.
Argiocnemis rubescens rubeola mesure 35 à 40 mm, et sa distribution, et si on se réfère à l’espèce désignée sous le nom d’Argiocnemis rubescens (!) est gigantesque, de l’Inde au sud de la Chine, et à l’Australie.
IUCN Red List.
Étymologie
Argiocnemis (2) : pour Argio, on ne sait si c’est à dessein ou par erreur que Selys a utilisé une anagramme d’Agrio (cnemis) lui-même issu du genre Agrion (Rambur a utilisé la même méthode quand il a gréé le genre Argia). Cnemis vient d’un mot grec signifiant jambe ou patte, une allusion aux tibias élargis des Platycnemis, ce qui pour moi reste mystérieux quand on l’applique aux Agriocnemis ou aux Argiocnemis…
Rubescens en latin signifie rougeâtre, ce qui se comprend plus aisément.
1- Description of the Larva of Argiocnemis rubescens rubeola Selys, 1877 (Odonata, Coenagrionidae, Agriocnemidinae) from Thailand with Systematic Notes on the Subfamily Agriocnemidinae. Tropical Natural History 24 (2024): 48-59. ©2024 by Chulalongkorn University.
2- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird Publishing 2015