C’est au moins la deuxième fois que je rencontre Agriocnemis minima, qui est un des sept Agriocnemis de Thaïlande : 3 sont communs, ce sont les seuls que nous ayons contactés soit A. minima, femina et pygmaea.
Et celui-ci, le mâle en tout cas, est facile à identifier et ne nécessite pas forcément des photos précises des appendices anaux. Il faut tout de même des photos de qualité correcte, car je rappelle que c’est un des plus petits odonates au monde, 20 à 22 mm de longueur totale.
Même si la forme des taches postoculaires n’est pas un critère absolu, elle réduit le nombre d’espèces possibles : il suffit d’y ajouter la petite dent que forme le lobe postérieur du pronotum et la tache verte au centre d’un second segment abdominal noir dorsalement. Les appendices anaux sont cependant très différents de ceux de A. minima ou femina et montrent des cerques massifs, longs et courbés vers le bas, et des paraproctes très courts, à peine visibles sur la photo de gauche, à la base du dixième segment, petite pointe blanche à apex noir.
J’ai eu la chance de trouver le document ci-dessous publié dans Zootaxa (1) (un document dont je rêvais depuis longtemps, d’autant que comme on le verra plus bas, il illustre également les pronotum des femelles !)
Noter que lors du vieillissement de ces individus, l’extrémité de l’abdomen devient de plus en plus sombre. La troisième photo ci-dessous montre un très jeune sujet aux yeux clairs.
La coloration jaune des ptérostigmas est également un signe distinctif des Agriocnemis minima.
Nous n’avons observé nos Agriocnemis thaïlandais que sur 3 sites, 2 à Chiang Mai et un à Chom Thong. Sur un site, Angkaew Reservoir, les trois espèces minima, femina et pygmaea étaient présentes et le « tri » est difficile à faire sur le terrain !
Dans presque tous les cas, les Agriocnemis se tenait dans des herbes éparses, sur une partie de la rive en pente, très près de l’eau, sur quelques mètres carrés seulement, particulièrement à l’abri du vent, sous un léger couvert d’arbres.
En Thaïlande, il est considéré comme peu commun.
Sa distribution, qui n’est certainement pas à jour sur le site de l’IUCN le mentionne bien sûr en Thaïlande, au Cambodge, et en Malaisie. Il est aussi connu à Singapour, dans le sud du Vietnam, je l’ai vu au Cambodge et sans doute aussi au Laos.
Il est vraisemblablement plus commun que ce que laissent entendre les données rapportées, car il est tout de même très facile à manquer, tellement il est petit.
En anglais, il prend le nom de Marsh wisp.
Le cas des femelles Agriocnemis est beaucoup plus compliqué, car elles sont très variables en fonction de l’âge et très ressemblantes entre les différentes espèces ; jeunes, elles sont rouge orangé, voire orange et rouges.
Il faut absolument, quel que soit leur âge, se référer au pronotum. Sa forme est différente, mais également la zone entre le pronotum et le mésothorax, appelée la plaque mésostigmale (mesostigmal plate). Le lobe postérieur du pronotum est redressé sur une vue de profil, mais rectiligne sur une vue supérieure, ce qui le différencie de A. femina où il est concave en arrière.
De plus, la plaque mésostigmale montre deux expansions d’aspect triangulaires atteignant le niveau du bord externe du pronotum ; ces expansions sont présentes pour les autres Agriocnemis, mais nettement moins prononcées.
J’ai eu le plaisir de voir mes observations de la plaque mésostigmale confirmée lors de la découverte du document précédemment cité (1) qui montre le pronotum de profil et de dessus, des trois espèces communes.
Mâles et femelles sont très « mignons » mais les femelles orangées ont un charme exotique supplémentaire (les 2 photos à Chiang Mai, 26/05/2024).
Comme les mâles, elles ont les ptérostigmas jaunes, ce qui peut aider à l’identification. Lodge Nok Chan Mee Na à Chom Thong, 01/06/2024 à gauche et Chiang Mai, 26/05/2024 à droite.
Les photos qui entourent ce texte illustrent la spectaculaire évolution ontogénique de l’espèce, depuis une couleur spectaculairement voyante vers un individu partiellement recouvert d’une pruine blanchâtre. On pourrait penser que ces couleurs de jeunesse, « hyper voyantes », nuisent à la survie des jeunes individus ; c’est sans doute le contraire et il pourrait s’agir de l’imitation d’un signal d’avertissement utilisé par certaines espèces, annonçant leur toxicité, ce qu’on appelle savamment l’aposématisme. Ne me mangez pas, je suis toxique !
Etymologie
Agriocnemis (2), du grec Agrios- sauvage, pour vivant dans les champs et knemis, qui signifie jambière ou legging, comme pour nos Platycnemis Européens. Selys croyait les genres étroitement proches au regard des tibias, ce que je ne constate absolument pas. Ceux des Agriocnemis ne me semblent pas plus larges que ceux des autres Coenagrion. Mais « cnemis » dans beaucoup de noms composés de genre doit plutôt être compris comme « faisant partie des Coenagrionidae ».
Minima, du latin minima qui signifie la plus petite. Selys (3) écrit « C’est probablement le plus petit de tous les Odonales. Il rappelle la pygmea , mais en est bien distinct par la taille encore moindre ». Je rapporte les écrits de Selys, mais « le plus petit odonate » est un débat sans réel fondement, car les différences entre les Agriocnemis sont de l’ordre du millimètre et les variations géographiques peuvent être sensibles. Dans Ngiam & Ng (4), on lit, par exemple, que A. nana n’atteindrait que 19 à 20 mm.
1- Saetung & Boonsoong, 2019 – A review of genus Agriocnemis larva (Odonata: oenagrionidae) from Thailand including a description of the final stadium larva of Agriocnemis minima Selys, 1877 with supporting molecular (COI) data – Zootaxa 4711 (3): 579–599.
2- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird publishing.
3- Selys, 1877 – Synopsis des agrionines, 5me legion; Agrion (suite et fin).
4- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
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