C’est en observant un odonate louvoyer entre les grandes herbes d’un fossé assez profond que Chris Heaivilin a découvert ce très rare Sarasaeschna pramoti. Il semble qu’il n’avait pas été photographié ou même retrouvé depuis sa description en 2000, sous le nom de Oligoaeschna pramoti. On ne trouve, sur iNaturalist, que les photos de notre équipe.
Cette découverte a fait l’objet d’un article : Benstead P., Guillon B., Heavilin C., 2025 – Recent observations of male and female
Sarasaeschna pramoti (Anisoptera: Aeshnidae) in north-west Thailand – Agrion 29(1) – January 2025. Si la date de cet article apparaît être antérieure à la publication dans Agrion, il n’était pas alors en accès public, attendant cette publication.
Agrion 29(1) – January 2025.
D’ailleurs toutes les 18 espèces du genre sont rares, la première n’ayant été décrite que tout récemment, en 1951. Le genre Sarasaeschna a été créé par Karube & Yeh, 2001(2) pour résoudre définitivement la division en deux sections distinctes du genre Oligoaeschna (Selys). Les deux genres sont très proches et les différences structurelles essentielles se situent au niveau du quatrième segment de leur « pénis » et la présence ou non de denticules sur le 10° segment (pour Oligoaeschna).
Il est extrêmement proche de Sarasaeschna niisatoi que j’ai eu la chance de rencontrer au Vietnam, à 7 ou 800 kilomètres à vol de libellule ; d’après Yeh (1), il s’en distingue principalement par des cerques plus courts avec des expansions plus courtes, les spots de part et d’autre du « T » frontal plus petits et compacts, il serait plus grand (58 mm au total, 42 pour l’abdomen), les marques médio dorsales sur S2 plus grandes et plus allongées transversalement et les spots latéraux des segments 3 à 6 plus développés [en tout cas plus marqués, car ils sont peu visibles, mais aussi développés sur S. niisatoi]. Il n’y a que ce dernier caractère qui est en accord avec ce que je peux constater sur mes photos, ce qui est trop peu, d’autant que Yeh précise dans sa publication qu’ils ont « des marques corporelles et une structure pénienne disposées de manière similaire ».
Dès lors, je ne vois pas pourquoi on aurait affaire à une autre espèce que S. niisatoi, si les seules différences reposent sur des variations légères de coloration ou de taille que la variabilité géographique peuvent parfaitement expliquer.
Ce sont des espèces qui fréquentent les zones marécageuses en forêt ; le mâle se trouvait donc dans un fossé (18.532778, 98.522778), en limite d’une zone marécageuse crée par le débordement de la rivière Klang. La femelle ci-dessous était également en forêt, près d’un étang (18.515254, 98.529717), dans la zone marécageuse formée par le ruisseau qui l’alimente.
Sarasaeschna pramoti n’est connu que de la région de Do Inthanon en Thaïlande, c’est la région du plus haut sommet du pays, c’est là que nous nous trouvions.
Sarasaeschna niisatoi n’a, pour l’instant… été rencontré qu’au Vietnam, très localement et en Chine (ile d’Hainan).
Que ce soit pour une espèce ou pour l’autre, les données sont très lacunaires ; comme déjà dit plus haut, ce sont des espèces rares, vivant dans des zones sombres, peu fréquentées et peu prospectées.
Ci-dessus, on peut observer l’ovipositeur de la femelle, garni d’un puissant stylet qui lui sert vraisemblablement à insérer ses œufs dans les végétaux.
Étymologie
Sarasaeschna, du japonais sarasa qui signifie chintz, un tissu de coton imprimé de motifs multicolores et brillants et qui se rapporte certainement à l’habit coloré, héliochromique (dont la couleur se modifie avec la lumière) de cet odonate.
Aeschna est un cas particulier dans l’étymologie des noms d’odonates. Il est ici écrit dans sa version corrigée, et on a, en Europe, l’habitude de l’écrire sans « c », la version de Fabricius (1775) qui a créé le nom de genre Aeshna.
On suppose, car il ne l’a pas précisé, que Fabricius a formé ce nom depuis un mot grec signifiant défigurer ou ternir (pourquoi, c’est une autre énigme ?) ; mais Fabricius est un puriste et on ne peut expliquer cette absence de « c » que par une erreur de transcription ou une erreur typographique.
L’absence de ce « c » n’est restée la norme que pour le genre Aeshna et tous les « composés » créés à l’époque moderne l’ont intégré.
Pramoti est un hommage à Pramote Saiwichien qui a longtemps supporté et participé aux activités entomologiques de Bro. Amnuays Pinratana. Il était également président de Do Inthanon [National Park] quand l’espèce a été découverte.
Niisatoi est un hommage à Tatsuya Niisato, entomologiste japonais.
1- Yey – Description of a new species of the genus Oligoaeschna Selys (Anisoptera : Aeshnidae) from Northern Thailand – Chinese J. Entomol. 20: 225-231, 2000
2- H. Karube & Wen-Chi Yeh, Sarasaescha gen. nov., with descriptions of female S. minuta (Asahina) and male penile structures of Linaeschna (Anisoptera: Aeshnidae) – Tombo XLIII, 2001