Argia infumata est tout à fait spectaculaire et unique parmi les Argia ; sa coloration orange et noire avec les deux derniers segments bleus, ses bandes antéhumérales discrètes ou même absentes, ses taches postoculaires bleues et ses ailes complètement fumées font qu’il n’est pas besoin de se pencher sur ses appendices anaux pour l’identifier ou le séparer d’un autre de ses 145 cousins du genre Argia.
Si toutes les photos que je montre ont été faites sur la Terra Firme (zones jamais inondées par l’Amazone ou ses tributaires), nous l’avons aussi rencontré dans la zone inondable, mais mes clichés sont trop mauvais… Il se plaît pourtant dans les flaques de lumières des petits ruisseaux en forêt. Ci-dessus, il partageait le terrain avec Argia kokama, Psaironeura tenuissima et Polythore aurora, entre autres !
Rosser Garrison et Natalia Von Ellerieder nous disent (1) que les mâles mesurent 32.3 mm en moyenne et les femelles 30 mm.
Ils montrent également que le torus des mâles est unique parmi les Argia d’Amérique du Sud et qu’il montre une extension en forme de doigt, aussi longue que les cerques (ex-cercoïdes). Ce torus est pair, il y a donc 2 tori qui sont 2 structures situées à l’extrémité supérieure du 10° segment, le plus souvent aplaties distalement et qui interviennent certainement comme un contre appui lors de la capture des femelles. Voici ceux d’un Argia fissa au Panama, bien aplatis à l’apex.
Si Selys, dans son « Synopsis des Agrionines, 5° légion » ne fait pas de remarque particulière concernant cette espèce, il en a néanmoins réalisé une aquarelle reproduite dans le document déjà cité et dont on doit la présence à Karin Verspui & Marcel Wasscher qui l’ont scannée à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique.
Une de leurs publications porte d’ailleurs sur ces aquarelles (2).
Les observations de l’espèce sont pour l’instant restreintes au bassin de l’Amazone, le nord-est de la Bolivie, le nord du Pérou, l’est de la Colombie, le sud du Venezuela, et les états amazoniens du Brésil (essentiellement Amazonas et Para). Le document déjà cité (1) donne une carte précise de sa répartition.
IUCN Red List
Je n’ai observé qu’une seule femelle, bien plus sombre que le mâle, sans tache postoculaire ni derniers segments bleus. Mais la ressemblance est évidente avec les ailes très colorées et la discrète ligne antéhumérale orangée.
Dans la mythologie grecque, Argia (Rambur, 1842) (1) est le nom de plusieurs personnages féminins ; il ne faut pourtant pas chercher de lien, et il semble plutôt que Rambur ait choisi un nom de genre aussi près que possible de Agrion, dont la nervation, dit-il, est similaire : « par le ptérostigma et les deux nervules du premier espace costal, ils se rapprochent des Agrion”.
Selys n’explicite l’origine du nom d’espèce, mais il écrit : »Ailes étroites, entièrement colorées en brun un peu roussâtre, moins intense chez la femelle. »
Infumata, vient du latin infumare, –sécher à la fumée ou enfumer, en rapport bien sûr avec la coloration brune des ailes
1- Damselflies of the genus Argia of the Guiana Shield (Odonata: Coenagrionidae, ROSSER W. GARRISON & NATALIA VON ELLENRIEDER, Zootaxa 4042 (1) : 001–134
2- The damselfly and dragonfly watercolour collection of Edmond de Selys Longchamps : I Agrionines, September 2016, International Journal of Odonatology, 19(3) :1-32, Karin Verspui & Marcel Wasscher