La découverte de Petalura ingentissima a été un des temps forts de cette prospection. C’est une nouvelle famille pour moi, une rareté et un libellule mythique dans le monde des odonatophiles : elle fait partie des plus anciennes libellules existantes, avec des fossiles datant de 150 millions d’années.
Elle est actuellement considérée comme le plus grand anisoptère, avec une envergure de 160 mm et une longueur de 12.5 cm (pour la femelle, respectivement 151 mm et 120 mm pour le mâle).
Je rappelle que le plus grand odonate, anisoptères et zygoptères confondus, serait Megaloprepus caerulatus, un zygoptère, que j’ai eu la chance de rencontrer au Panama.
Mais il faut lire Keith Wilson dans « Dragonfly Giants » pour préciser les mesures.
Malheureusement, nous n’avons pu l’observer qu’à distance, de trop loin pour détailler ses extraordinaires appendices anaux, en forme de feuille ou de pétale, comme le souligne son nom anglais, Giant petaltail. Sur la vue ci-dessus, l’épine qui semble s’échapper de l’extrémité de l’abdomen est en fait un appendice anal vu de profil.
Dans sa description, Tillyard précise que les appendices supérieurs (3), qui, je le rappelle, sont utilisés pour capture et maintenir la femelle pendant l’accouplement, mesurent chacun 8.5 mm de long sur 7 de large. Les appendices inférieurs (4), massifs également, n’atteignent que 3 mm de long.
Petalura ingentissima, planche de Tillyard, dans « On the genus Petalura, with description of a new species ». Proceedings of the Linnean Society of New South Wales. 32: 708–718
Il est endémique des forêts pluviales du nord du Queensland, de Townsville au nord de Cairns.
IUCN Red List
Dans cette zone, on rencontre un deuxième des 5 Petalura connus (tous présents en Australie), P. pulcherrima, rarissime et encore plus nordique. Les 6 autres espèces de Petaluridae vivent en Nouvelle-Zélande, au Japon, dans le Pacifique nord-ouest, aux États-Unis (2 espèces) et en Amérique du Sud.
Nous avons eu à peine plus de chance avec les femelles que nous avons rencontrées brièvement sur 2 lieux différents, mais toujours aussi haut perchées dans les eucalyptus. Sur le premier site, nous avons longuement attendu son retour, après un premier contact, sans succès, certains assis sur un tronc d’arbre d’où s’échappera un Acanthopis praelongus (Elapidae), d’un genre plus explicitement appelé Vipères de la mort, considérée comme l’un reptile les plus venimeux au monde. Nous sommes vainement retournés sur ce site le lendemain, et un de mes compagnons portait exceptionnellement des bottes ce jour-là, allez savoir pourquoi ?
Ce site est une rivière à la saison de pluies, mais un marais au mois de décembre quand nous avons prospecté. Il vit en forêt pluviale, au long des cours d’eau, et c’est près d’une plus grande rivière que s’est produite notre deuxième rencontre.
Autant les appendices anaux du mâle sont longs, autant ceux de la femelle semblent absents, portés par un abdomen qui se termine de façon abrupte, épaissi par un lourd ovipositeur.
Une autre femelle ci-dessous qui s’est assez rapidement envolée.
Curieux nom d’ailleurs pour ce site magnifique qu’elle avait choisi et où certains d’entre nous se sont baignés : Alligators Nest Swimming Hole dans le Tully Gorge National Park, au confluent de 2 rivières. Les alligators sont en effet des reptiles américains ! En fait, ce lieu de baignade est ainsi nommé, car une troupe de scouts nommée « les Alligators » avait l’habitude de se réunir ici, il n’y a jamais eu de crocodiles. Ouf !
Nous l’avons retrouvée à une cinquantaine de mètres, dans une aire ouverte, malheureusement au moins aussi haut, mais bénéficiant d’un meilleur angle de vue, en s’éloignant.
Petalura (1) du grec petalon pour feuille d’arbre ou de plante et de ura signifiant queue (comme dans Ischnura) pour souligner, bien sûr, la forme des appendices anaux du mâle.
Ingentissima, superlatif du latin ingens, signifie grand, énorme. On l’a déjà dit, c’est un des plus grands odonates au monde, bien plus grand que Petalura gigantea dont l’envergure du mâle n’atteint que 110 mm.
Petalura ingentissima femelle, Australie (FNQld), Tully Gorge, 16/12/2022
Les larves des Petaluridae sont exceptionnelles dans le sens où elles vivent dans un terrier creusé dans la boue des rives, débouchant à l’air libre, parfois jusqu’à 1 m au-dessus du niveau de l’eau. Elles y chassent à l’affut, capturant les proies aquatiques habituelles des odonates côté rivière, mais occasionnellement aussi des insectes ou arachnides terrestres côté terre.
-1- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird publishing.
J’imagine que l’approche de ces libellules géantes doit procurer quelques frissons au moment d’appuyer sur le déclencheur.. Lors de mon court séjour à Brisbane je m’étais aventurer dans le parc Yugarapul de Brisbane, dans l’espoir de rencontrer une de ces géantes, hélas, la dense végétation et le temps compté ne m’ont pas permis de les croiser. Vos photos sont superbes et les textes instructifs…..Un grand merci
Un grand plaisir, en effet.