Ischnura heterosticta : cannibalisme/prédation intraspécifique

Ischnura heterosticta cannibalisme : J’ai publié une étude beaucoup plus complète sur le cannibalisme entre zygoptères (demoiselles) sur cette page.

Il est commun de voir une libellule faire son repas d’un odonate d’un autre genre ou d’une autre espèce, en particulier un anisoptère mangeant un zygoptère, voire un anisoptère en mangeant un autre. La prédation entre zygoptères est moins fréquente et il est beaucoup plus rare qu’un zygoptère mange un congénère de sa propre espèce, ce qu’on appelle proprement cannibalisme. C’est un comportement que je n’avais observé qu’une seule fois auparavant, en Namibie, entre Ischnura senegalensis (premier cas reporté pour cette espèce) ; les Ischnura sont très agressifs et des exemples ont été publiés avec I. graelsii, I. verticalis, I. ramburii et I. elegans (ils sont aussi localement très abondants). C’est de très loin le genre le mieux représenté dans la prédation intraspécifique.
Âmes sensibles s’abstenir.

Il s’agit ici non seulement de la même espèce, mais de deux femelles. La prédatrice est verte, en train de devenir jaune-terne, sans doute mature, et je pense que la proie, plus claire, est plus jeune, même si je n’ai pas de photo qui permette de bien la détailler. Cependant, les nervures de ses ailes sont bien définies et ce ne semble pas être un sujet émergent ou ténéral.
L’œil de la femelle prédatée est très abimé ; je ne sais pas comment s’est déroulée la capture, et si c’est le mâle qui la dévore qui lui a ainsi écrasé l’œil ; c’est possible, car la plupart du temps les odonates prédateurs commencent par manger la tête et les yeux.

Sur les 2 photos ci-dessus, on constate que la cuticule du thorax ne résiste pas longtemps aux mandibules de l’agresseur ; en 1 minute et 17 s, écart entre la photo 1 et la photo 4, les muscles thoraciques sont accessibles…

J’ai dû m’approcher trop près et la prédatrice s’est brièvement envolée pour se repositionner en sécurité.
Il s’est écoulé 1 minute et 20 s entre les photos 4 et 5, et la tête s’est détachée.
Sur la 6°, 1 minute 50 s plus tard, le thorax est déjà bien entamé.

Il y a peu de cas documentés de cannibalisme entre imagos de zygoptères et c’est la première fois qu’un cas de cannibalisme est reporté et documenté pour Ischnura heterosticta. La dernière publication scientifique en date sur la prédation intraspécifique, à ma connaissance, qui remonte à décembre 2020, relate un cas en Inde entre une femelle et un mâle Ceriagrion coromandelianum (1), en 2015. Dans ce document Arajush PAYRA, fait une rapide revue des espèces connues pour un ou des cas de cannibalisme. Dans son observation, il n’y avait, à cette date, que 13 cas répertoriés dans le monde.
Et même si le phénomène est connu depuis des dizaines d’années, il n’y a que des hypothèses pour tenter d’expliquer ce comportement, et encore faut-il relativiser notre compréhension de cette prédation. Les auteurs s’accordent à penser que la reconnaissance intraspécifique, la communication au sein d’une même espèce n’a pas fonctionné ! Dans les cas de cannibalisme, il a été observé que la proie est souvent très jeune, émergente ou ténérale, et ne serait pas capable d’émettre les signaux d’alertes conventionnels (mouvements de l’abdomen par exemple), ou bien que l’agresseur ne serait pas capable de les apprécier…

Mais est-ce que cette hypothèse explique tous les cas de cannibalisme, car il est certainement plus économique pour un prédateur d’attraper un tout jeune odonate qui n’est capable que de courts vols lents qu’un autre adulte qui saura, de plus, se défendre vigoureusement, ou un autre insecte qui se méfiera d’emblée d’une famille agressive. Et cette notion d’immaturité aurait toute son importance si le prédateur ne reconnait pas sa proie comme un partenaire éventuel ; dans le monde des odonates, tout ce qui n’est pas un éventuel partenaire de reproduction est un adversaire, leur comportement le montre sans cesse.

Si des lecteurs ont observé et documenté des cas de cannibalisme entre zygoptères, j’en prendrai connaissance avec plaisir, car il est certain que de nombreux exemples ne sont pas rapportés et restent inaccessibles à la recherche internationale. Dans la mesure de mes moyens et de mes connaissances, je cherche à faire avancer la connaissance sur ce sujet et je publierai sur mon site une liste mise à jour bientôt, je l’espère.

-1- A record of cannibalism in Ceriagrion coromandelianum Fabricius (Zygoptera: Coengrionidae)
www.biotaxa.org/RSEA. ISSN 1851-7471 (online) Revista de la Sociedad Entomológica Argentina 79(4): 44-46, 2020
PAYRA Arajush, Ramnagar, Purba Medinipur, West Bengal, India. E-mail: arapayra@gmail.com.

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Viviane Lamy
Viviane Lamy
1 année il y a

Bonjour, merci pour votre article. J’ai été témoin d’une scène de cannibalisme entre libellule de même espèce au Québec et j’ai été curieuse du phénomène. La photo n’est malheureusement pas très bonne mais après recherche je crois qu’il s’agit de l’aeschne bleu ou Southern Hawker. En observant les images de ce site : https://british-dragonflies.org.uk/species/southern-hawker/ je pense que c’est une femelle qui dévore un mâle. Je voulais vous le partager étant donné votre intérêt pour le sujet. Au plaisir!

southern hawker cannibalisme.jpg
Viviane Lamy
Viviane Lamy
1 année il y a
Répondre à  Benoît Guillon

oh! merci à vous pour cette précision 🙂

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