Ischnura aurora (Brauer, 1865)

Ischnura aurora mâle, Australie (WA), Mayiba (Middle Springs), 22/04/2022
Ischnura aurora mâle, Australie (WA), Mayiba (Middle Springs), 22/04/2022

Ce n’est qu’assez récemment que la taxonomie de ce petit Ischnura aurora été réglée. Il y a quelques années, on pensait que sa distribution s’étendait depuis le Pakistan jusqu’en Australie ; ce n’était pas sans poser quelques problèmes, car même les amateurs comme moi s’étaient bien étonnées d’une variabilité, en particulier, sur l’étendue des taches noires sur les derniers segments ou l’étendue relative de ces taches noires et de la tache bleue.
Dumont en 2013 (2) a montré qu’à l’ouest de la ligne de Wallace, il s’agissait d’un autre taxon, Ischnura rubilio (ici au Rajasthan (Inde)). Il a même démontré, et c’est vraiment étonnant, que I. rubilio et I. aurora étaient sans rapport au niveau moléculaire et que les 3 espèces d’Ischnura orange (aurora, rubilio et rufostigma (ici au Vietnam)) n’étaient pas apparentés et étaient apparus indépendamment : « The conspicuous yellow and orange colours displayed by three of the Ischnura taxa included in the present study, finally, turn out to be no sign of relatedness, but arose independently« .

Le problème de ces Ischnura orange avec un spot bleu est cependant délicat en Asie, car ce problème taxonomique a engendré de nombreuses sous-espèces, pour tenter d’expliquer ces variations, qui s’ajoutent à des variations locales ; que contient réellement Ischnura rufostigma, n’est-ce pas plutôt un groupe d’espèces qu’il conviendra de séparer (3) ?

Quoi qu’il en soit, ces Ischnura très colorés sont vraiment magnifiques ! Ils sont aussi très petits à peine plus de 24 mm.

Il faut noter sur ces photos la différence de taille des ptérostigmas, ceux des ailes antérieures étant visiblement plus grands que ceux des ailes postérieures, ceux-ci d’ailleurs parfois teintés de rougeâtre ; les amateurs se souviendront qu’un des critères d’identification de nos femelles Ischnura pumilio est justement cette même différence de taille. Ils ne sont pourtant pas apparentés, le plus proche de I. pumilio étant sans doute I. rubilio qui montre cependant aussi cette différence de taille (et des ptérostigmas postérieurs rougeâtres…). Il est tout de même étonnant de retrouver 2 caractères assez singuliers (taille et couleur des ptérostigmas) pour I. aurora et I. rubilio sachant que ces 2 espèces se seraient développées indépendamment.

On les trouve dans la végétation des eaux stagnantes, mares, marais, étangs et dans les parties très calmes des eaux courantes. C’est d’ailleurs dans un espace marécageux de notre terrain de camping, peut-être une mare en voie d’assèchement, que j’ai trouvé le premier de ces 2 mâles immatures :

Les femelles sont sombres, sans spot bleu sur les derniers segments de l’abdomen.

Je n’ai pas vu d’accouplement, mais on lit dans une étonnante communication de RJ Rowe (4) que les mâles ne s’accouplent qu’avec des femelles ténérales, c’est-à-dire très immatures, encore « molles » ; malheureusement, il ne développe pas. Faut-il en conclure que les femelles sont matures sexuellement extraordinairement tôt ? Ou qu’elles disposent d’un organe qui lui permette de stocker le sperme le temps de devenir sexuellement mature ?

Il est encore difficile de connaître la répartition exacte de l’espèce ; sans doute est-elle limitée, comme dit plus haut, à l’est de la ligne de Wallace. On le trouve en tout cas aux Philippines, en Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie, aux Fidji, aux iles Cook et sans doute dans bien d’autres iles du Pacifique. On le trouve un peu partout en Australie sauf dans le centre.

Ci-dessus, 2 photos d’une même femelle ; l’abdomen des femelles est normalement complètement noir sur sa face supérieure et celle-ci est simplement tachée par la boue du substrat qui s’est déposé lors de pontes.
J’ai passé un peu de temps à séparer les femelles Ischnura aurora des femelles vertes Ischnura heterosticta ; les premières ont les pattes plus claires et une bande antéhumérale plus large. Et il est intéressant de constater que le critère qui est finalement décisif est encore la différence de taille des ptérostigmas, bien visible sur les femelles ci-dessous, et particulièrement sur le contre-jour. Pour Ischnura heterosticta, ils sont de la même taille.

Ischnura (1) vient du grec ischnos pour fin ou mince et de oura qui signifie queue. Charpentier explique qu’il a créé ce nom en raison de la finesse exceptionnelle de l’abdomen (sans doute en comparaison du genre Calopteryx, d’après Fliedner (2006), car elle n’a pour nous rien d’étonnant en soi).
Aurora, du latin aurora qui signifie aurore. Mais Brauer met une majuscule à Aurora impliquant qu’il a nommé l’espèce en s’inspirant de la Déesse de l’Aurore, Déesse qui en pleurant la mort de son fils Memnon donne la rosée du matin. Mais il n’y a rien dans la description originale qui suggère les couleurs du lever du soleil. Il faut cependant rappeler que les scientifiques de l’époque travaillaient sur des sujets en collection qui avaient souvent totalement changé de couleur…

Ischnura aurora femelle, Australie (FNQ), Ravenshoe, 11/12/2022
Ischnura aurora femelle, Australie (FNQ), Ravenshoe, 11/12/2022

-1- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird publishing.

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