LIBELLULE ou DEMOISELLE, Libellula. (Entom.) Genre
d'insectes névroptères, à bouche très-visible, couverte par
la lèvre inférieure; à antennes très-courtes, en soie : de la
famille des odonates.
Geoffroy croit que le nom de Libella ou de Libellula vient
de ce que la plupart des espèces tiennent leurs ailes étendues
comme les feuillets d'un livre , lorsqu'elles sont en repos ,
ou bien à cause de la manière dont ces insectes planent
en fendant l'air. Quant à la dénomination de demoiselle,
il est à croire qu'elle a été donnée par le vulgaire à cause
des formes sveltes et élégantes de ces insectes, qui ont le
corps allongé et orné de couleurs agréablement distribuées.
et à cause de leurs ailes de gaze ; ce qui les a fait encore
appeler des prêtres dans quelques contrées, à cause des nervures
dont l'étoffe ou la matière légère de leurs ailes se
trouve régulièrement maillée, ainsi que le sont les volants
ou les ailes des surplis de nos prêtres catholiques.
Le mode de développement, les mœurs et les habitudes
des-libellules sont à peu près les mêmes que celles de tous les
autres névroptères ODONATES (voyez ce mot). Les espèces de ce genre se distinguent des agrions, d'abord par la forme

de la tête, qui est grosse, presque sessile, arrondie, à yeux
très-gros, mais contigus entre eux en arrière, tandis que
les agrions ont la tête courte, large, à yeux globuleux, distants,
latéraux; ensuite par la manière dont les libellules
portent leurs ailes étendues et écartées l'une de l'autre horizontalement dans le repos, tandis que les agrions les offrent alors rapprochées et élevées verticalement sur le corselet.
Les larves surtout sont fort différentes, puisque dans les
agrions l'abdomen se termine par deux lames verticales,
allongées, qui servent comme de gouvernail â l'insecte lorsqu'
il nage, tandis que dans les deux autres genres l'abdomen
forme à son extrémité une sorte de pointe composée
de plusieurs pièces triangulaires, qui s'écartent, se rapprochent


et deviennent une sorte d'arme défensive. Dans les
aeshnes, qui ressemblent d'ailleurs aux libellules, les larves
et les nymphes sont assez différentes entre elles par la forme
de la bouche, dont la lèvre inférieure ou le masque prend,
comme nous allons le dire, des formes très-variées.
Réaumur a très-bien décrit les mœurs de ces insectes
dans le sixième volume de ses Mémoires. Geoffroy et Olivier
ont puisé dans cet ouvrage, comme nous le ferons pour
cet article, la plupart des faits que nous avons souvent vé
rifiés, en observant par nous-mêmes les mœurs curieuses de
Ces animaux et en les étudiant anatomiquement.
On sait que les demoiselles, sous l'état parfait, habitent
les lieux humides, sur les bords des marais, des étangs, des
rivières. Toutes, en effet, proviennent de larves qui se développent
et ne peuvent vivre que dans l'eau. Il est vrai
que ces insectes agiles et munis d'ailes larges, légères, quoique
très-solides, volent avec une rapidité extrême, pour
saisir dans l'air les insectes, qu'ils ont bientôt atteints, et
qu'ils vont ensuite dévorer à loisir en se fixant sur les
corps isolés, comme les feuilles ou les extrémités des branches; ce qui fait qu'on les observe souvent alors dans des
lieux fort éloignés des eaux. Cependant ils s'en rapprochent
à l'époque de la fécondation, qui offre dans son mode une
particularité des plus singulières ; car l'accouplement des demoiselles s'opère d'une manière extraordinaire en apparence.
Voici les causes de cette singularité. Chez les mâles, l'organe

qui doit pénétrer dans le corps de la femelle pour y féconder
les œufs, se trouve placé à la base de la poitrine en-
dessous, tandis que dans la femelle l'orifice externe des organes génitaux existe à l'extrémité de l'abdomen. Il faut
donc que la femelle aille porter l'extrémité de son ventre
vers l'origine de celui du mâle , et que celui-ci la force à cet
acte, en venant la saisir derrière le cou, au moyen d'une
sorte de pinces ou de tenailles dont sa queue est armée.
Cette femelle, ainsi violentée , se trouve forcée de suivre le
mâle partout où il l'entraîne ; cédant à la violence qui lui
est faite, elle s'élève avec lui dans l'espace, jusqu'à ce que,
fatigués tous deux , ils viennent se reposer sur quelque corps
solide. Nous ne pouvons résister au désir de citer ici la
description laconique que Linnaeus a donnée de ce mode de
fécondation: Mas, visa soda, ut ampjiectatur, eaudceforcipe
prehendit feminœ collum; quo verà Ma, vinci nolens volensve,
liberetur, caudâ sua vulviferâ repellit proci pectus, in quo maris
arma latent; sic unitis sexibus obvolitat prcpriâ lege.
La femelle fécondée vient pondre ses œufs en grappes
dans l'eau, au fond de laquelle ils tombent par leur propre
poids. Il en nait bientôt de petites larves fort raccourcies, à
longues pattes, très-vives, très-alertes, sur le corps desquelles
la vase et quelques corps étrangers s'attachent de
manière à les déguiser sous cet état de larve. L'insecte change
plusieurs fois de peau ;'et il offre des particularités véritablement curieuses a étudier, et dans la manière dont il prend sa nourriture, et surtout par le mode singulier de sa respiration et de son transport ou de ses mouvements progressifs, comme nous allons le dire.
L'organisation des parties de la bouche est difficile à distinguer
au premier aperçu; car la lèvre inférieure, énormément
développée, se coude deux fois sur la longueur,
se prolonge sous la gorge en une sorte de faux menton
doublé, et se termine par une portion élargie qui recouvre
les mâchoires, les mandibules et toute la bouche, comme
un véritable masque. Cette lèvre bizarre a le triple usage,
1° de se développer, pour se porter en avant à une distance
qui dépasse souvent plus de trois fois la longueur de la tête;
2.° de servir comme d'une sorte de pince, pour retenir la

proie après l'avoir saisie, afin de la ramener vers la bouche,
et de la soumettre à l'action triturante des mandibules et
des mâchoires;
3° de cacher tout-à-fait l'appareil à l'aide
duquel l'insecte carnassier a bientôt dévoré sa victime.
Il n'y a pas de doute que l'insecte, qui a la faculté de marcher
en tous sens et déguisé, pour ainsi dire, par les corps
étrangers qu'il a fixés aux poils dont toute sa surface est
couverte, ne profite de cette sorte de pince protractile et
articulée pour saisir rapidement sa proie, sans quitter la
place où il se tient en embuscade.
Le mode de la respiration et de la locomotion , fonctions
qui se trouvent ici liées d'une manière tout-à-fait bizarre,
n'est pas moins curieux à connaitre que l'appareil propre
à la préhension des aliments et à la mastication : voici en
quoi consiste cette particularité.
Quand on élève des larves ou des nymphes agiles
de demoiselles pour en observer les
mœurs, on remarque que les pointes qui terminent, comme
nous l'avons dit, leur abdomen, s'écartent de temps en
temps les unes des autres; et si quelques corps étrangers se
trouvent flotter dans l'eau , on les voit bientôt entraînés par
un courant et comme par une sorte d'absorption dans l'intérieur
du ventre, pour en sortir bientôt par une sorte
d'expiration. Lorsque l'insecte veut même changer de place
rapidement, on s'aperçoit qu'il fait une plus vive inspiration ,
une absorption d'une quantité d'eau plus considérable,
qu'il chasse beaucoup plus rapidement encore, de
manière que le jet d'eau qui sort de son anus, devient une
sorte de colonne qui s'appuie sur la masse du liquide environnant, dont les molécules ne se mettent pas aussi rapide
-ment en mouvement. Il résulte de ce choc, que le corps de
l'insecte qui le produit, et qui est à peu près de la même
pesanteur que l'eau, reçoit lui-même le mouvement en sens
opposé, comme une pièce de canon recule par l'effet de la
résistance que l'air oppose à l'effet de la dilatation de la
poudre. Voilà donc un singulier mode de mouvement, dont
on peut rendre la démonstration plus évidente par le procédé
que nous allons indiquer. Si, au lieu de placer l'insecte
dans l'eau pure, on le fait, pendant quelque temps,
respirer ou se mouvoir dans un liquide coloré, soit par une

solution d'indigo , d'encre à écrire ou de lait, et si on prend
tout à coup cet insecte pour le placer dans un vase qui contient de l'eau très-limpide, On voit à chaque inspiration
nouvelle que va faire l'insecte, ou dans chacun de ses grands
mouvements , un jet d'eau coloré qui provient, pour ainsi
dire, du lavage que l'insecte opère dans l'intérieur de son
intestin ; car c'est véritablement dans l'intestin rectum que
l'eau pénètre et que la respiration paraît s'opérer.
Réaumur, et surtout M. Cuvier, ont fait connaître la structure
de cet intestin, et le dernier de ces deux auteurs a
même donné une figure de cette organisation à la page 54
du premier volume in-4.° des Mémoires de la société d'histoire
naturelle de Paris, en l'an VII. Quand on ouvre l'intestin
rectum de ces larves ou de ces nymphes, on remarque,
même à l'œil nu, douze rangées longitudinales de petites
taches noires, rapprochées par paires, qui ressemblent à
autant de ces feuilles que les botanistes nomment ailées (
pennées); au microscope, ou même à l'aide d'une simple
loupe, on voit que chacune de ces taches est composée d'une
multitude de petites trachées coniques, qui aboutissent à six
grands troncs régnant dans toute la longueur du corps, et
desquels partent toutes les branches qui vont porter l'air
dans les parties, pour y opérer probablement le même phénomène
que produit la respiration dans un point donné.
Il parait donc démontré que dans ces insectes le mouvement
progressif est en partie dû à l'acte mécanique qui
est nécessaire à la respiration dans l'eau : c'est un exemple
assez curieux d'association de fonctions, que nous ne devions
pas passer sous silence, quoique les détails que cette particularité a exigés nous aient un peu écarté de l'histoire du développement des larves des libellules.
Au reste, les nymphes de ces insectes sont assez semblables
aux larves dont elles proviennent; elles n'en diffèrent que
par les moignons des ailes. Lorsqu'elles doivent subir leur
dernière métamorphose, ces larves quittent l'eau pour jamais,
elles grimpent sur les tiges des roseaux, sur les berges
ou les murailles qui bordent les rivières : là elles s'accrochent
solidement la tête en haut, en écartant 1eurs pattes. Bientôt
l'air, surtout l'action du soleil, à l'ardeur duquel elles cher-

chent à s'exposer, vient à dessécher leur corps; on voit
une fente longitudinale s'opérer sur le dos du corselet, qui
se bombe et se fait jour à travers cette fente : peu après
la tête se dégage , puis les pattes, ensuite les ailes ; enfin le
tronc sort de son fourreau, qui reste comme une dépouille au
lieu où la métamorphose s'est opérée. L'insecte, après s'être
éloigné de quelques pas, conserve la plus grande immobilité,
de crainte de froisser ses ailes, qui sont encore humides,
blanchâtres, opalines, et qui doivent s'allonger, se dévelop-
per et prendre de la consistance, ce qui, selon l'heure de
la journée et l'état hygrométrique de l'atmosphère, demande
souvent plusieurs heures

Les principales espèces du genre Libellule sont les suivantes :
1° LIBELLULE APLATIE, Libellula depressa.
C'est celle que nous avons figurée à la planche n°11 de la
première livraison de l'Atlas de ce Dictionnaire, sous le n°6,
et sa nymphe sous le n°7.
Cet insecte, qui a plus d'un pouce et demi de long, est
la Philinthe de Geoffroy , qui l'a très-bien caractérisé comme
il suit.
Car. Ailes transparentes, jaunes à la base, avec un trait
noir au bord externe de leur extrémité; abdomen couvert
d'une poussière cendrée bleuâtre (c'est le mâle).
La femelle, que le même auteur a décrite sous le nom
d'Eléonore, et qu'il a figurée tom. 2, pl. 13, fig.1, ne
diffère que par la couleur de son abdomen, qui est jaunâtre
ou d'un jaune fauve, et non bleu,
2° LIBELLULE QUATRE-TACHES ; Libellula quadrimaculata, Linn.
C'est celle que Geoffroy a nommée la Françoise.
Car. Abdomen conique, jaune, brun à l'extrémité ; les ailes
ont, toutes, deux taches brunes sur le bord externe, et les
inférieures en ont une semblable à la base.
3.° LIBELLULE BRONZÉE ; Libellula œnea, Linn.
Geoffroy nomme Aminthe cette demoiselle ; Panzer l'a figurée,
ainsi que les deux qui précèdent.
Car. Corps d'un vert doré, à l'exception de la lèvre inférieure,
qui est jaune; les ailes sont jaunâtres, avec une tache
marginale brune.

Comme nous n'avons pas décrit au genre AESHNE les espèces de demoiselles que Fabricius a décrites sous ce nom,
parce que le lobe moyen de la lèvre inférieure est aussi
large que les latéraux, que d'ailleurs ces insectes ont les
mêmes mœurs et les mêmes formes, nous allons les faire
connoitre ici.
4.° LIBELLULE GRANDE ; Libellula grandis , Linn.
Geoffroy l'a nommée Julie. C'est la plus grande espèce de
demoiselle ; car il y a des individus de près de quatre
pouces de long. Réaumur l'a figurée dans ses Mémoires, tom.6, pl.35,fig. 3.
Car. Jaune fauve-foncé; ailes jaunâtres avec une tache
brune au bord externe ; corselet avec deux bandes obliques,
citronnées de chaque côté ; tête jaune au devant, à yeux
bruns.
5. LIBELLULE A TENAILLES ; Libellula forcipata, Linn.
C'est la Caroline de Geoff., dont Réaumur a donné deux fois
la figure, tom.4, pl.10, fig.4 , et tom.6 , pl.35 , fig.5.
Car. Abdomen et corselet noirs, avec des taches et des
traits jaunes; ailes transparentes, avec une tache externe,
noire, oblongue. (C. D. )


Ici quelques pages concernant les libellules dans le Dictionnaire des sciences naturelles rédigé par Frédéric Cuvier et une société de professeurs, Paris et Strasbourg, 1816-1830, 60 vol. in-8°.
Je ne suis pas sûr, que de nos jours, un scientifique s'attarde à décrire ce type de procédé. Le cas échéant, il se verrait sûrement inquiété par les ligues de protection des animaux...